Liaison entre Fez Ville-Nouvelle et la Médina par le Mellah, Bab Semmarine et Fès-Jdid dans les années 1930.
Image à la une : Route reliant Fez Ville-Nouvelle au Mellah, que l’on voit en arrière-plan. Cliché de 1920/22.
Dans un précédent article j’ai parlé de la liaison entre la Médina et Fez Ville-Nouvelle par l’avenue Paul Doumer. Petite histoire de la liaison entre Fez Ville-Nouvelle et la Médina, par l’avenue Paul Doumer, en 1935.
Ce projet d’une incontestable utilité permettait de relier la Ville-Nouvelle à Bab Segma ce qui ne résolvait qu’une partie du problème de la liaison entre la Ville-Nouvelle et la Médina. La liaison qui paraît nécessaire, indispensable, est celle qui va de la Ville-Nouvelle à la Médina en passant par la Grande-Rue de Fès-Jdid : en effet les Fasis que leurs occupations ou leurs loisirs conduisent de la Médina vers Fès-Jdid, le Mellah, la Ville Nouvelle, les camps de Dar Dbibagh et Dahar Mahrès, ou inversement, connaissent d’importantes difficultés de circulation dans la seule grande artère reliant ces quartiers.
Avant d’aborder la circulation dans le Mellah et Fès-Jdid je rappellerai qu’avant l’arrivée des Français on entrait au Mellah par Bab Lamer (côté sud-ouest) à laquelle on accédait par un sentier tortueux et par Bab Jiaf (côté nord-est). En fait Bab Lamer était murée depuis de nombreuses années à la suite d’une épidémie de typhus (ou de peste selon les auteurs) et par mesure sanitaire.
Lors de leur arrivée à Fès en 1911 les troupes françaises ouvrent une autre porte, de faible largeur dans les remparts entre Bab Lamer et le bastion de la Casbah des Djabalas. Cette porte permet le passage à pied, à cheval et en charrette vers la place du Commerce. En 1915 le Génie fait une première percée dans le rempart qui permet le passage d’une voiture ; les Juifs nomment cette porte Bab Mehalla, probablement parce qu’elle a été faite par la méhalla (l’armée) française ou parce qu’elle conduit aux camps militaires. Lorsqu’en 1916 la municipalité met en vente les premiers terrains de la Ville-Nouvelle, le mouvement de circulation entre Dar Dbibagh (nom de Fez Ville-Nouvelle) et le Mellah augmente et l’on songe à élargir la trouée et à faire un pont plus large, mais les crédits manquent. Ce n’est qu’en 1924 que la municipalité construit le pont et élargit la percée. Sur l’initiative du général de Chambrun, le service des Beaux-Arts étudie un projet de porte qui est agréé et les crédits accordés ; une brèche est faite dans le rempart pour ouvrir en grand la place du Commerce sur la Ville-Nouvelle. De là, par le boulevard de Bou-Khississat on rejoint Bab Semarrine et Fès-Jdid. On peut aussi rejoindre Bab Semmarine depuis la place du Commerce par la Grande-Rue du Mellah, mais cette rue est très étroite, encombrée en permanence et ne permet pas la circulation automobile.
Nouvelle porte en 1911/1912. L’ouverture est encore sommaire, un simple trou dans le rempart
Nouvelle porte du Mellah vers 1913/14. Sur les cartes postales de l’époque on trouve d’ailleurs plusieurs appellations pour cette porte : nouvelle porte de Dar Dbibagh, porte du borj el-Ma. Bab Lamer est à droite.
Bab Lamer murée Cliché anonyme vers 1910.
La Grande-Rue de Fès-Jdid, bordée de boutiques et d’étals en plein vent, toute grouillante d’une foule qui s’agite pour faire ses achats dans les boutiques, les souks, les marchés aux grains, ou qui se dirige vers l’un ou l’autre quartier de la ville au milieu d’un va-et-vient invraisemblable de carrioles, d’autos, de camions, d’animaux, d’autobus constitue assurément un des côtés pittoresques de Fès qui ont séduit bien des peintres et écrivains, mais qui du point de vue de la circulation est un défi aux principes les plus élémentaires de sécurité. Cette rue très passagère et très fréquentée est comme barrée à ses extrémités par les portes de Bab Dekaken et de Bab Semmarine ; des angles de maisons ou de mosquées complexifient encore davantage la circulation. Il importe donc d’assurer une meilleure circulation entre la Médina et les autres quartiers de la ville de Fès.
Divers chefs des Services municipaux ont compris l’importance de cette liaison entre la Médina et la ville européenne et déjà le commandant Ernest Le Guevel, en 1923, amorce un premier essai d’élargissement de cette rue de Fès-Jdid, mais la lenteur les décisions administratives ne permet pas de progresser efficacement ; une circulation toujours plus intense impose de nouvelles décisions. Lorsque l’on discute vers 1925 du nombre d’autobus à affecter au service des transports en commun entre Boujeloud et la ville européenne, certains conseillers municipaux estiment que six ou huit véhicules seraient suffisants ; ce chiffre est rapidement porté à douze et en 1935 la dernière convention impose quarante voitures.
« M. Lemaire, chef des Services municipaux, qui s’est attaché avec une intelligente activité aux questions d’urbanisme a singulièrement amélioré la situation par l’ouverture d’une deuxième porte à Bab Semmarine, à Bab Jiaf et à Bab Dekaken et l’inauguration du sens unique à Boujeloud. Mais tout cela est insuffisant et il suffit de faire une seule fois le trajet entre la place du Commerce et Boujeloud pour s’en convaincre.
L’étroitesse de la rue de Fès-Jdid favorise des embouteillages : engagée dans le courant circulatoire, aucune voiture ne peut faire demi-tour. Qu’une canalisation se crève, qu’un égout soit à réparer, et toute la circulation est interrompue pour les véhicules ; lorsqu’il fallut placer les canalisations d’eau de source, pendant plusieurs semaines, les voitures qui se rendaient à Boujeloud durent faire un détour de plusieurs kilomètres, soit par la route des jardins ou en contournant l’Aguedal. » écrit Marcel Bouyon, journaliste à l’hebdomadaire le Progrès de Fez, le 17 février 1935.
Un autobus de la ligne 1 « Place de l’Atlas-Boujeloud » dans la Grande-Rue de Fès-Jdid. La ligne 1 partait du Café de l’Atlas et se terminait à la Porte de Boujeloud en passant par la place Clémenceau, le Boulevard du 4ème Tirailleurs, la place Gambetta, la place du Commerce, Bab Semmarine, et Bab Dekaken. Il y avait un autobus toutes les 4 minutes ! de 5h du matin à minuit, le service pouvant être prolongé en cas de nécessité jusqu’à la sortie des spectacles !
Je profite de cette évocation de la ligne 1 du service général des autobus pour faire une petite digression à propos des autobus scolaires :
À l’occasion de la rentrée scolaire d’octobre 1933, la municipalité de Fès met en place un service d’autobus scolaires dont le départ a lieu au Mellah, place du Commerce à 7h25, selon l’itinéraire suivant : le lycée, le stade, les villas du Tanger-Fès, la place Lyautey, l’avenue de France, la gare à voie 0,60 m, le Parc du Génie, le Camp Fellert, Dar Dbibagh, les lots vivriers, l’avenue de Sefrou, la rue Cuny, pour arriver au groupe scolaire de l’avenue Maurial. Le retour pour le trajet inverse est à 11h30 au groupe scolaire de l’avenue Maurial.
L’après-midi, même itinéraire avec départ place du Commerce à 13h00.
Retour à 17h00 à partir du groupe scolaire de l’avenue Maurial.Pour la sortie des études du soir du lycée : départ du lycée à 18h30 selon l’itinéraire place Clémenceau, Camp Fellert, Dar Dbibagh, lots vivriers, avenue de Sefrou, place Briand (à l’Atlas)
Les écoliers venant ou allant de Boujeloud dont le nombre est réduit, empruntent le service général c’est à dire la ligne 1 entre Boujeloud et la place du Commerce par la Grande-Rue de Fès-Jdid.
Les écoliers du lot Guichot (Dahar Mahrès) utilisent le service général. Toutefois ce service sera réglé de telle sorte qu’ils se trouveront à Guichot à 7h45 et 13h15. Ils trouveront place Briand à 11h40 et 17h10 l’autobus qui les emmènera à Guichot. (Le lot Guichot regroupe les casernes du camp de Dahar Mahrès, l’hôpital militaire Guichot, et plus tard l’hôpital mixte Auvert (civil-militaire), et les logements des familles)
Les cartes scolaires sont distribuées au Bureau des autobus, rue de la Martinière. Le tarif est de 15 francs par mois et par élève. Ce tarif est réduit à 10 francs par mois et par élève pour les familles dont deux enfants ou plus empruntent le réseau scolaire.
Reprenons l’article de Marcel Bouyon où différentes propositions sont évoquées pour faciliter la circulation entre la place du Commerce et Boujeloud.
« De la place du Commerce on arrive dans le boulevard de Bou-Khississat bordé de constructions neuves. On a commis là l’erreur de faire une rue insuffisamment large, en accordant trop de place aux immeubles, erreur difficile à réparer, mais dont on pourra atténuer les inconvénients en interdisant tout stationnement dans ce boulevard.
Si les Beaux-Arts refusent de sacrifier Bab Semmarine, il faudra dégager cette porte pour canaliser le flot de piétons en dehors des deux ouvertures actuelles ; on pourra, ce nous semble, largement tailler dans les locaux actuellement occupés par le poste des pompiers et le marché municipal.
La rue conduisant à Bab Jiaf devra être élargie et la chose sera facile en reculant et en recasant à l’alignement les boutiques en bordure de cette voie.
Découvrons-nous pour passer sous Bab Semmarine – la Porte des maréchaux, objet de la vénération des Beaux-Arts – »
Marcel Bouyon fait ici référence à l’aménagement de Bab Semmarine (ou Porte des maréchaux-ferrants !) qui renseigne sur la nature des rapports, parfois houleux, entre le service des Beaux-Arts et la municipalité. Dès 1922, l’administration municipale envisage de dégager Bab Semmarine pour fluidifier le trafic. Mais les prétentions des propriétaires des boutiques environnantes et, plus encore, l’opposition du service des Beaux-Arts retardent la réalisation de son projet. À partir de 1931, le chef des Services municipaux, M. Lemaire, multiplie les arguments esthétiques pour convaincre les autorités de Rabat du bien-fondé de cet aménagement, expliquant qu’il offrirait aux promeneurs venant du Mellah un nouvel « élément de pittoresque par l’échappée sur la rue de Fès-Jdid ». Il explique qu’il ne s’agit pas de détruire la porte mais, au contraire, de la remettre dans son état primitif en supprimant quatre boutiques et une maison, « verrues » qui l’obstruent du côté du boulevard Bou-Khississat. La porte est percée, en dépit de la désapprobation du service des Beaux-Arts, auquel il est reproché une méconnaissance du contexte fasi et de ses problèmes de circulation.
« Pénétrons dans la Grande rue de Fès-Jdid. Nous voilà en présence de l’importante tâche à accomplir.
Là il faut y aller carrément. Il ne s’agit plus de grignoter, un pan de mur, d’écorner une maison et d’élargir pour trois ou cinq ans, quitte à renouveler l’opération dans quelques années. Il faut exproprier tous les immeubles compris entre la Grande-Rue de Fès-Jdid et la rue parallèle à l’Ouest, connue sous le nom de rue de la gendarmerie ou derb Houanat ; c’est un gros morceau évidemment mais l’achat des immeubles en totalité ne sera guère plus onéreux que celui de parties. Ce large dégagement pourra permettre de reconstituer en bordure toute une série de boutiques, si on le juge à propos et de récupérer une partie du montant des expropriations.
Le décongestionnement de Fès-Jdid devra être complété par une rue transversale dont notre croquis indique un tracé partant de la grande rue principale ; cette rue transversale se dirigera, presque en ligne droite vers le Borj Cheikh Ahmed et de là une antenne rejoindra le jardin de Boujeloud et les routes qui le sillonnent et une autre antenne vers la porte de Bab Djebala, pour se prolonger vers Bab el Hadid et les lotissements créés ou à créer dans ce quartier.
Revenons vers la Grande-Rue de Fès-Jdid : nous arrivons vers les doubles portes de Bab Dekaken. Tous les usagers connaissent ce mauvais passage, où piétons et véhicules paraissent jouer à cache-cache pour traverser ces fameux remparts auxquels il ne faut plus toucher.
Tout le monde se retrouve à Bab Dekaken devant la porte de Bab Sba !
Il nous semble que l’on devrait rechercher là à éviter aux piétons de franchir ces dangereuses portes où ils risquent à chaque minute de se faire écraser par les voitures.
La solution est extrêmement simple, un ponceau sur l’Oued Fès – noté en pointillé sur notre croquis – à l’Est des remparts. La construction de ce pont est envisagée depuis fort longtemps et pourrait être confiée au Service des Beaux-Arts, pour ménager les susceptibilités de cet organisme, si chatouilleux, pour ce qu’il n’a pas créé ou préconisé, et si notre municipalité ne dispose pas en ce moment des fonds suffisants, on pourrait fort bien envisager la construction d’une passerelle en bois, comme celle que nous trouvons dans les jardins de Boujeloud.
Croquis fait par Marcel Bouyon : en grisé les modifications qu’il propose pour faciliter la circulation à Fès-Jdid. Les modifications suggérées sur la Grande-Rue et la transversale vers Borj Cheikh Ahmed n’ont pas été réalisées la municipalité ayant choisi de contourner le Mellah et Fès-Jdid en ouvrant l’avenue du Batha aboutissant Place du Batha (Avenue de la Liberté et Place de l’Istiqlal aujourd’hui) au début des années 1950
Passer les écluses de Bab Dekaken nous arrivons dans l’avenue des Français récemment élargie, et dont la chaussée a été portée à 15 mètres. Cette avenue serait certainement une des artères les plus jolies, une des plus agréables, si on avait le courage de supprimer, ou tout au moins d’araser à hauteur de un mètre, comme dans la partie qui touche Bab Dekaken, la fameuse muraille qui nous cache le jardin de Boujeloud. Cette muraille n’a aucun caractère historique, elle date d’une cinquantaine d’années et fut construite sous le règne de Moulay Hassan, dans le but de préserver le harem impérial, des regards indiscrets lorsqu’il se rendait du Palais à Dar Batha.
Actuellement les murs de protection élevés par Moulay Hassan n’ont plus leur raison d’être, et rien ne s’oppose à la disparition de cette partie de rempart que tous les Fasis considèrent comme une simple muraille de clôture de jardin.
Il faudra sans doute pas mal d’argent pour mener à bonne fin les projets dont nous avons tracé les grandes lignes, projets qui rentrent, nous en sommes assurés, dans les vues de notre Municipalité et qui répondent à une nécessité se révélant chaque jour avec plus d’acuité. Nous avons trouvé des fonds pour des créations moins utiles, il ne fait aucun doute que nous en trouverions encore pour ce qui est indispensable à l’amélioration de nos relations et de nos communications entre Médina et les autres quartiers de la ville.
La situation immobilière de Fès-Jdid est apurée depuis quelques années et la municipalité s’est assurée un droit d’option ou de priorité sur toutes les ventes d’immeubles Makhzen.
Il est tout simplement regrettable qu’au moment de la délimitation administrative de Fès-Jdid, en 1923, et des opérations d’apurement des droits des occupants, la ville de Fès n’ait pas pris position pour l’acquisition des terrains nécessaires à l’élargissement de la Grande-Rue ; nous aurions à ce moment-là acquis pour presque rien ce que par la suite, nous paierons fort cher. »
Détail d’une photo aérienne de janvier 1926 du Mellah et de Fès-Jdid. En bas, au centre Bab Semmarine, d’où part rectiligne la Grande-Rue de Fès-Jdid jusqu’à la Makina et le Vieux Méchouar (en haut à droite). À gauche de Bab Semmarine, le début d’aménagement du boulevard Bou-Khississat : les petites écuries et les échoppes plus ou moins misérables détruites en 1924 pour ouvrir la rue n’ont pas encore été remplacées par des constructions neuves et laissent apercevoir les remparts de l’enceinte mérinide de Fès-Jdid.
Avant d’emprunter la Grande-Rue de Fès-Jdid (également appelée rue du Souk el Kébir) il faut d’abord franchir Bab Semmarine ! Elle permet le passage de Fès-Jdid au Mellah ou l’inverse … ce qui a d’ailleurs une incidence sur le prix des cartes postales anciennes : Bab Semmarine, entrée de Fès-Jdid est moins chère que la même carte Bab Semmarine entrée du Mellah … qui est une carte judaïca !
Bab Semmarine ou Porte des Maréchaux-Ferrants
Lors de la fondation de Fès-Jdid, en 1276, cette porte était appelée Bab Oyoun Sanhaja. Fortifiée et imposante, elle se dresse à l’extrémité sud de la Grande-Rue de Fès-Jdid. C’est l’une des deux seules portes qui donnaient accès à Fès-Jdid ; l’autre située au nord, était une simple brèche dans la muraille.
Entre ces deux portes, la Grande-Rue de Fès-Jdid, rue rectiligne, très large pour une ville musulmane est la seule artère intra-muros reliant le Mellah à la Médina.
Route extérieure reliant le Mellah à la Médina avant le protectorat. Cliché anonyme
Outre sa fonction de communication Bab Semmarine était un lieu d’embauche – « moukef », littéralement « lieu où l’on se tient debout » c’est à dire où l’on attend – des ouvriers pour les travaux de la ville : puisatiers et terrassiers.
Les femmes juives de petite condition, installées sur deux files à Bab Semmarine, exerçaient le métier de ravaudeuses. Elles attendaient l’ouvrage que leur fournissaient principalement les musulmans.
Les boutiques de part et d’autre de la porte abritaient des petits commerces alimentaires.
Bab Semmarine primitive, porte unique avec une ogive décorée et à voutes multiples que l’on remarque dans la photo centrale. Vers 1913/1914.
Bab Semmarine. Octobre 1917. Cliché (à partir de plaque de verre) qui montre l’animation de la rue avec un « bourgeois » fasi sur sa mule, un « meskin » vêtu de sacs. Porte en baïonnette, comme pratiquement toutes les portes dans les remparts de la médina ce qui facilitait la défense de l’accès ; le fond est fermé et on peut deviner l’ouverture sur la droite.
Cette porte a évolué au fil du temps. L’ouverture de portes au-delà de la place du Commerce et la création de Fez Ville-Nouvelle ont rendu nécessaire l’ouverture d’une deuxième porte pour canaliser la circulation vers Fès-Jdid.
Primitivement, il n’y avait qu’une porte, celle sous l’ogive décorée et non seulement il fallait faire passer la circulation dans les deux sens mais encore il fallait obliquer à l’intérieur car l’ouverture postérieure sur la rue de Fès-Jdid était au fond à droite. La circulation ne posait guère de problèmes tant que l’on circulait à pied ou à cheval.
À partir de 1924 l’architecture intérieure de Bab Semmarine est modifiée à plusieurs reprises pour les besoins de la circulation : on perce d’abord une ouverture dans le mur du fond de la porte en ogive créant ainsi un accès direct unique pour permettre le passage du bus de faible largeur qui assure la liaison entre la place de Commerce et Bab Dekaken. Puis nouvelle amélioration, on pratique dans le bastion central une deuxième porte qui débouche sur l’ancienne sortie en baïonnette et crée un double sens de circulation et une circulation plus fluide… au moins sous les portes !
Des boutiques plus « cossues » s’installent dans les encoignures. Entre les deux portes il y a un horloger, puis une boulangerie qui persiste jusqu’en 1939 environ quand de nouveaux travaux sont effectués.
À gauche, accès direct à la Grande-Rue de Fez-Jdid que l’on distingue en enfilade. À droite, l’ouverture de la deuxième porte dans le bastion central.
Enfin au début de l’automne 1938 on modifie encore l’aspect de la porte car la circulation sous la porte est croissante : marché du quartier, augmentation des liaisons entre Fès-Jdid et Fez V-N, développement du Mellah, trafic vers Bab Jiaf. L’ouverture pratiquée dans le bastion central est bouchée et l’on ouvre une deuxième porte plus large symétrique de la porte d’origine par rapport à la tour. Il y a maintenant deux larges portes, sans coude ni chicane, conformes aux nécessités du trafic local mais la circulation des camions, cars et arabas est interdite, sauf autorisation spéciale, à Bab Semmarine et dans la Grande-Rue de Fès-Jdid.
Cette restauration de Bab Semmarine est réalisée en concertation avec le Service des Beaux-Arts de Fès.
Bab Semmarine : la porte du bastion central a été fermée. La deuxième porte est en cours d’aménagement
Les magasins « accrochés » aux ouvertures sont détruits, des trottoirs sont construits pour faciliter le déplacement des piétons et les mettre à l’abri des autobus qui circulent dans le quartier. La municipalité aménage des w.c dans l’ancien bastion entre les deux portes.
Cette ouverture de la porte s’accompagne de la destruction de masures et de la démolition de la partie du vieux marché de Bab Semmarine en bordure de la rue Sekkakine (la rue Sekkakine est la prolongation du boulevard Bou-Khississat et conduit à Bab Jiaf). La construction vétuste de la façade sur Sekkakine est abattue, et la rue, trop étroite pour la circulation, est ainsi considérablement élargie ; des boutiques neuves, très en retrait de la façade existante et flanquant exactement les hautes murailles de l’antique herri qui constitue le marché sont construites. À l’intérieur du marché, les rangées de stalles sont réaménagées et un nouvel espace avec une fontaine est attribué à la poissonnerie dans le fond du marché.
Un marché plus informel s’installe peu à peu sous les voutes du bastion central, entre les deux portes.
Marché à l’intérieur de Bab Semmarine. Au fond l’entrée du marché officiel installé dans l’ancien herri
Détail plan de Fès-Jdid/Mellah vers 1932
Sur ce plan : en bas le Mellah (avec la Grande rue du Mellah) séparé de Fès-Jdid par la rue Bou-Khississat et la rue Sekkakine qui va jusqu’à Bab Jiaf. En haut une partie de Fès-Jdid que traverse en ligne droite la rue du Souk Kébir (ou Grande-rue) depuis Bab Semmarine pour aboutir à Bab Dekaken. Le N° 4 est la gendarmerie dans le derb el Houanat. À gauche en noir une partie des bâtiments du Palais du Sultan.
Une fois franchie Bab Semmarine la voie est libre, si l’on peut dire, jusqu’à Bab Dekaken ; la Grande-Rue de Fès-Jdid est l’unique voie de passage Sud-Nord, l’artère collectrice sur laquelle viennent de part et d’autre se déverser les rues adjacentes et la seule qui permet la circulation automobile : certes celle-ci est interdite aux autocars et aux camions, mais elle est le trajet qu’empruntent les fiacres, les automobiles, l’autobus à faible largeur. Aux heures d’affluence la circulation y est intense car elle draine deux collecteurs :
– un collecteur Nord à Bab Dekaken, qui mène vers Fès-Jdid, les piétons et cyclistes, venus de Moulay Abdallah, du palais du sultan à l’Ouest, les autos et les piétons venus du Méchouar au Nord, de l’avenue des Français à l’Est et les piétons venus du jardin de Boujeloud et de Btatha à l’Est.
– le collecteur Sud à Bab Semmarine qui mène autos, piétons et cyclistes de Bou-Khississat à l’Ouest, de Bab Jiaf à l’Est, et les piétons de la Grande-Rue du Mellah et de Boutouil.
Trop étroite pour le trafic qui s’y fait, cette voie ne peux guère être élargie ; plusieurs boutiques ont été réduites, la municipalité envisage d’en raser d’autres à l’angle que forme la rue avant d’arriver à Bab Dekaken* mais la circulation sur cet axe qui relie la Ville-Nouvelle à la Médina reste et restera toujours aussi difficile ; le problème n’est pas résolu et il ne le sera qu’au début des années 50 quand une route directe conduira à Bab Chems et à la Place du Batha, en contournant Fès-Jdid par l’Est, sans que l’on ait besoin de traverser l’agglomération.
* Alors que l’entrée primitive du palais du Sultan se trouvait, comme l’atteste les vieilles murailles mérinides, à la hauteur d’une ligne passant par la Jama Kebir et la médersa d’Abou Saïd, le Sultan Moulay Hassan (1873-1894) a porté cette entrée plus au nord à Bab Dekaken. Il a ainsi confisqué au profit du palais, la porte de la ville. On peut voir sur le terrain et sur le plan, la déviation qui fut alors imposée à la Grande-Rue de Fès-Jdid qui, primitivement, allait en ligne droite de Bab Semarrine à Bab Dekaken,
Sur ce plan de 1932, en rouge la Grande-Rue de Fès-Jdid arrivant de Bab Semarrine. À la fin du XIXe siècle elle continuait en ligne droite jusqu’au pont fortifié et à Bab Sba ; une arcade terminait le souk des boutiques de Fès-Jdid au Nord. Après l’intégration de Bab Dekaken au Palais, la Grande-Rue est déviée vers l’Est par un coude et vient rejoindre le pont fortifié grâce à une nouvelle ouverture percée dans la muraille Est. De là on peut rejoindre Boujeloud par l’avenue des Français.
Le pont fortifié et ses différentes portes
Le pont fortifié sur l’Oued Fès, fait de six arches jumelles constituées chacune de six rangées de briques superposées, a prouvé sa robustesse en résistant, après sept siècles, au passage des autobus après 1912 et jusque vers 1950. Les six arches de brique du pont fortifié, entre la porte de Bab Sba au Nord et Bab Dekaken, au Sud, porte de la ville (aujourd’hui du palais du Sultan) servaient de soubassement à une placette fermée par de murailles crénelées à l’Est et à l’Ouest ; les ouvertures percées dans ces murs datent de la fin du XIXème siècle ou du début du protectorat.
Photo de gauche : le pont fortifié sur l’Oued Fès, avec ses arches et la muraille crénelée Est. Une seule ouverture étroite vers l’avenue des Français qui ne permet pas la circulation automobile. À droite les tours de Bab Dekaken. Derrière le rempart crénelé qui barre la photo la placette entre Bab Sba à droite et Bab Dekaken à gauche. Photo de droite : il y a maintenant deux portes dans la muraille, l’avenue des Français au premier plan.
Deux portes se font face de part et d’autre du pont fortifié : Bab Sba au nord, Bab Dekaken au sud. Cette dernière, à passage droit était la porte d’entrée de la ville. Appelée d’abord Bab el Kantara puis Bab el Oued. Elle a reçu le nom de Bab Dekaken depuis que, à la fin du XIXe siècle, elle a été confisquée au profit du palais. Bab el Oued était le départ « nord » de la grande rue de Fès-Jdid.
Bab Dekaken ou Porte des banquettes est ainsi nommée, parce que des banquettes de pierre permettaient aux personnes convoquées par le khalifa du pacha de s’asseoir en attendant d’être appelées. Ces banquettes servaient aussi aux bourgeois de Fès pour descendre de leurs mules. C’est à tort que ce nom a été attribué à la porte d’en face Bab Sba.
L’actuelle Bab Sba ouvre trois ogives sur la placette du pont fortifié, alors qu’à l’origine seule existait l’ouverture Ouest (à gauche) avec un passage coudé. Le passage central a probablement été percé lors de la restauration de la porte en 1884 ; celui de l’Est ne date que d’après 1912. Le décor de l’ogive Est a été ajouté après coup, pour symétrie, sur le modèle du décor de l’ogive Ouest. (Sur Bab Sba voir La légende de Bab Sba – Porte du Lion)
À gauche : Bab Sba avec sa triple ouverture donnant accès au Méchouar de la Makina. La porte sur la droite est une porte vers l’avenue des Français. Photo de droite : Bab Dekaken ( anciennement Bab el Kantara et Bab el Oued) une des entrées actuelles du Palais du Sultan. À gauche sur la photo, une des portes donnant accès à Fès-Jdid et à la Grande-Rue de Fès-Jdid.
Le pont fortifié est la plaque tournante de la liaison Fès-Jdid/Bab Boujeloud : deux portes permettent de sortir de la Grande-Rue (ou d’y entrer) et deux portes d’accéder à l’avenue des Français.
À gauche : sortie de Fès-Jdid vers le pont fortifié (aussi appelé petit Méchouar ou parfois Place de Bab Dekaken). Photo de droite : sortie du pont fortifié pour entrer à Fès-Jdid et rejoindre Bab Semmarine.
Double porte de sortie du pont fortifié/petit méchouar dans l’avenue des Français. L’arche gauche de la porte permet de voir au bout de l’avenue la Porte des Français qui est l’entrée vers l’esplanade de Boujeloud.
Lorsque la porte d’entrée de la ville fut réservée au seul Palais, le quartier de Moulay Abdallah qui avait jusque-là, communiqué librement avec le reste de la ville, se trouva complètement isolé entre les murs nord du palais et l’enceinte mérinide. Pour le désenclaver on dut pratiquer une sorte de poterne dans le mur ouest du pont fortifié, mais le passage ainsi aménagé, comportant de nombreux coudes n’était accessible qu’à des charrettes légères et aux animaux de bât et n’intervient pas dans la circulation entre la Ville-Nouvelle, le Mellah et la Médina.
La liaison Bab Dekaken-Boujeloud ne pose aucun problème à la fin des années 30 : l’avenue des Français a été élargie, rendue carrossable et longe le Jnan Sbil jusqu’à la Porte des Français. De là en traversant l’esplanade de Boujeloud on arrive à Bab Boujeloud, entrée de la Médina par les deux Talâa.
À droite l’avenue des Français, non encore élargie, avec sur sa droite Jnan Sbil derrière les remparts. Au bout de l’avenue on distingue la Porte des Français. Sur la gauche de la photo : des jardins et le cimetière de Bab Mahrouk où l’on aperçoit le mausolée de Sidi Bou Bker El Arabi.
La Porte des Français, appelée également nouvelle Porte de Boujeloud ou parfois Bab Chems. Photo de gauche : la porte en 1913 telle que réalisée par la mission militaire italienne sous la direction du major Campini (déjà auteur de la porte de la Makina). Photo de droite : la Porte des Français « rénovée » à la demande de Lyautey qui n’appréciait pas le style italien. On aperçoit au fond la mosquée de Boujeloud. La porte dans le rempart de droite sur les deux photos est la véritable Bab Chems.
L’esplanade de Boujeloud. Photo vers 1930. Les voitures étaient encore une attraction à cette époque dans le quartier ! Au centre de l’esplanade le herri et au fond à droite la mosquée de Boujeloud.
Je terminerai cet article sur la liaison de Fez Ville-Nouvelle à la Médina à la fin des années 1930 avec deux extraits de plan de Fès de 1938 et 1953 centrés sur le Mellah, Fès-Jdid et les différentes voies de communication entre la Ville-Nouvelle et la Médina.
En 1938, il n’y a pas de relation directe entre la Ville-Nouvelle et Bab Boujeloud ; il faut traverser le Mellah et Fès-Jdid ou faire un long détour : depuis Bab Jiaf une route (« la route des jardins« ) rejoint Bab el Hadid et l’hôtel Bellevue. À partir de cette route une transversale rejoint Bab Jebala et de là, la Résidence et la place du Batha d’une part, Bab Chems, en longeant le jardin de Boujeloud, d’autre part.
Détail d’un plan de Fès de 1938 centré sur le Mellah et Fès-Jdid.
Axe de circulation, la Grande-Rue de Fès-Jdid est aussi une grande artère commerçante (Souk el Kébir) : on comptait en 1938 environ 280 boutiques (denrées alimentaires, petits artisans et divers services : bars, restaurants, tabacs, etc.) auquel il faut ajouter un grand dépôt de matériaux, un fondouk pour les fiacres, un souk aux grains, un fondouk à bestiaux. Il est facile de comprendre qu’au fur et à mesure du développement économique de Fès-Jdid la circulation devenait de plus en plus difficile voire impossible malgré les essais de réglementation. L’idée de l’expropriation de commerçants pour élargir la Grande-Rue paraissant peu réaliste, les autorités envisagent rapidement d’ouvrir une voie de contournement du Mellah et de Fès-Jdid pour rejoindre Boujeloud. La guerre de 1939-45 interrompt toute initiative dans ce domaine et il faut attendre la fin des années 40 pour envisager à nouveau ces travaux.
Détail d’un plan de Fès de 1953 centré sur le Mellah et Fès-Jdid. En 1953, une route directe passant à l’angle Sud-Est du Mellah ( Quartier Nouaouel) et reliant Fez Ville-Nouvelle à la Place du Batha, est en voie de réalisation. Cette route est toujours fonctionnelle.